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Un an après l’adoption de la PCP, quel rôle pour les OP ?

« Notre première mission consiste à apporter aux scientifiques des éléments pour fixer les quotas à des niveaux rationnels. Le  revenu des pêcheurs  en dépend. » Jacques Pichon, directeur de l'OP LPDB

(crédit photo : Thierry Nectoux)

 

La nouvelle politique commune des pêches et l’organisation commune des marchés ont donné aux organisations de producteurs la mission d’optimiser la mise en marché en présentant des plans de production et commercialisation. Jacques Pichon, directeur des Pêcheurs de Bretagne, évoque le rôle de son OP, ses missions… Interview, avec les regards des représentants du mareyage et des criées.

 PdM : Jacques Pichon, Les pêcheurs de Bretagne ont été reconnus comme organisation de producteurs le 1er janvier 2015. Quel est son périmètre et surtout quel regard portez-vous sur le rôle des OP défini par la nouvelle PCP et l’OCM ?

Jacques Pichon : Les pêcheurs de Bretagne comptent 800 bateaux adhérents de Bretagne et de Loire-Atlantique. Outre les pélagiques, l’OP gère une part importante de quotas français sur des espèces comme la sole, la langoustine, le merlu et la baudroie. Au fil des années, les missions des OP ont beaucoup évolué. Longtemps, 95 % de notre activité consistait à organiser le soutien aux marchés. Aujourd’hui l’aspect marché et commercialisation n’est que l’un des sept chapitres de notre plan de production et de commercialisation. Cet outil a été mis en place par la réglementation communautaire pour assurer le succès de la PCP, et celle-ci ne se limite pas à l’OCM.
Les premiers interlocuteurs des OP sont les producteurs. Pour eux, le plus important reste la constitution de leur chiffre d’affaires. Aujourd’hui celui-ci dépend avant tout de l’accès à la ressource. Notre premier rôle consiste donc à apporter aux scientifiques des éléments tangibles pour que les quotas soient fixés à des niveaux rationnels, à les gérer et les répartir ensuite de la façon la plus efficace possible. En France cela se faisait depuis 2006, mais ce rôle est aujourd’hui attribué à toutes les OP européennes.


Gérer les quotas de la façon la plus rentable qui soit, cela consiste-t-il à en répartir l’usage sur l’ensemble de la saison, à les répartir par bateaux ?

J.P. : Clairement, il faut éviter les dépassements de quotas et les fermetures anticipées. Au niveau commercial c’est la pire des situations. Après, la question de la répartition ou non des quotas par les OP dépend des espèces et du degré de pénurie où l’on se trouve. Prenons l’exemple de la lotte. Sur l’ensemble de nos trois quotas nous disposons d’un potentiel de captures de 19 000 tonnes, mais la production réelle est de 12 000 tonnes. Les risques de dépassements sont inexistants. Nous évitons donc d’imposer des contraintes aux pêcheurs même si nous suivons de près les captures. Pour d’autres espèces, la répartition peut se faire par métier : fileyeurs, chalutier, etc. et pour d’autres comme l’anchois, nous pouvons attribuer des quotas par bateaux. Les captures de chacun sont suivies au quotidien.


Vous évoquez 7 000 tonnes de quotas non pêchés sur la lotte, n’est-ce pas une perte de valeur pour la filière et vos adhérents ?

J.P. : Mais quels bateaux pourraient les pêcher ? On ne s’improvise pas pêcheurs de baudroie. Ce n’est pas parce qu’il existe des tonnages disponibles qu’ils sont accessibles. Laisser des bateaux étrangers prendre cette ressource n’est pas une solution. Nous risquons de créer notre propre concurrence sans créer d’emplois en Bretagne et sans faire descendre les prix pour les consommateurs. La lotte est un produit cher et doit le rester.
Cette réserve de quotas nous permet aussi d’organiser des échanges sur d’autres espèces et, surtout, de mettre nos adhérents à l’abri de variations de quotas parfois très importantes. Leur garantir de la visibilité et de la stabilité est essentiel. C’est aussi pour cela que nous adoptons une politique d’adhésion prudente, notamment vis-à-vis d’armements à capitaux espagnols, qui pourraient choisir de valoriser leurs captures en Espagne, plutôt que localement. Un point très regardé par notre conseil d’administration.


Ne risquez-vous pas de perdre ces quotas non utilisés ?

J.P. : Non, en 1983, le principe de la stabilité relative a été établi. Depuis, les pourcentages de quotas attribués par espèce à chaque pays de l’Union ne bougent pas. Si vous voulez éviter une course en avant dans les captures et adapter les flottes à la capacité de production, il faut garantir la clé de répartition.
Nous traitons les questions de gestion de la ressource et des quotas dans le chapitre III de notre plan de production et de commercialisation (PPC). La plus-value de cette gestion collective est d’offrir aux pêcheurs de la souplesse et de la visibilité dans un environnement instable. Une partie des travaux consiste à anticiper le profil de la flotte en fonction des prévisions de captures à plus ou moins long terme. Le degré d’anticipation varie selon le cycle de vie des espèces. Difficile d’aller au-delà des deux ans sur l’anchois, mais sur le cabillaud on peut aller plus loin, grâce à des campagnes d’auto-échantillonnage des juvéniles. Ce travail d’anticipation avait débuté au sein de l’OP avant l’adoption de la nouvelle PCP. Aujourd’hui toutes les OP s’y mettent, en témoignent les recrutements de scientifiques en France.


De quels pouvoirs disposez-vous pour adapter la flotte aux prévisions de ressource ?

J.P. : Tout d’abord, nous contrôlons les adhésions. Chaque candidat présente le type d’exploitation dans lequel il s’engage et tout changement substantiel doit être validé par le conseil d’administration. De notre côté, si les baisses de ressources sur une espèce sont trop fortes, nous réunissons tous les adhérents concernés et tentons de trouver des solutions de repli, en fonction des disponibilités, des souhaits et connaissances de chacun. Lorsqu’il a fallu arrêter le bar, heureusement, nous avions des quotas disponibles sur d’autres espèces, comme le merlu ou la lotte.


Pour anticiper son avenir, l’aval de la filière serait friande d’informations sur vos prévisions de ressources. Les partagez-vous ?

J.P. : De façon informelle, oui. Pour autant, nous ne formalisons pas nos prévisions par écrit. C’est un ressenti, une analyse… mais nous ne pouvons rien garantir. De notre côté aussi nous serions curieux d’en savoir plus sur les plans d’investissement des mareyeurs ou sur les opérations promotionnelles prévues par les enseignes. Si l’on sait que l’un monte un atelier de cuisson, une unité de surgélation, d’emballage sous vide, nous pouvons anticiper, tenter de les mettre en rapport avec des producteurs pour passer des contrats. De la même façon, nous découvrons les opérations promotionnelles lorsque les prix flambent en criée, faute de volumes. Alors que nous pourrions favoriser l’apport de volumes  à ces périodes. Les hausses seraient moins brutales mais profiteraient à un plus grand nombre. Nous sommes favorables aux échanges.


Pourtant, les plan de production et de commercialisation n’ont pas été transmis au mareyage ?

J.P.  : Les PPC concernent assez peu le mareyage, seul le chapitre V touche aux questions de commercialisation. Plus que le plan de production, ceux sont nos décisions de gestion qui intéressent le mareyage. Elles ont des conséquences directes sur les apports. Néanmoins, hors données financières, nous pourrions partager les PPC si tout le monde le faisait.
Reste que nous investissons lourdement dans le partage d’information. Depuis un an et demi, nous traitons les informations des logbooks et envoyons tous les jours, par mail, aux mareyeurs bretons les stocks flottants des bateaux de la pêche au large. Malheureusement on a l’impression que ce n’est pas toujours su. Idem avec les achats que nous réalisons désormais sous criée. Nous avons toujours déclaré que nous serions des acheteurs par défaut et les lots qui nous sont attribués le sont sous réserve deux heures après la clôture des enchères. Pour faciliter une acquisition de dernière minute, la liste détaillée de nos achats, par espèce, taille, qualité et criée est disponible en temps réel sur notre site web. Je ne suis pas sûr que l’information ait circulé.

 

Nous tentons d’être le plus transparent possible. Nous nous sommes même essayés à la prévente. Peut-être que le nombrede bateaux concernés ne suffisait pas mais seuls deux mareyeurs se sont lancés. D’autres sont venus sans prendre de risque et le projet est tombé à l’eau. Dommage.

Vous évoquez les achats sous criée. De quels volumes parle-t-on et comment cela fonctionne ?

J.P. :Les volumes sont marginaux. Les prix des ordres d’achat sont construits pour que ces achats ne dépassent pas les 2 % de la production, comme c’était le cas pour les prix de retrait. Si les volumes sont supérieurs, nous révisons les prix à la baisse. Nous avons imaginé ce système en 2012. Nous sentions que le système des prix de retrait serait interdit et nous avons cherché des mécanismes de soutien de marché pouvant être jugés acceptables par la Commission. Pour nous, disposer d’un filet de sécurité permet de stabiliser le marché, tant du côté de la production que du côté du mareyage. Nous avions pensé que les autres OP feraient de même. Ça n’a pas été le cas en 2014 et cela nous a coûté très cher. Mais on tient bon et certaines OP adoptent le même système. Toutefois, je rappelle que les producteurs sont libres de vendre moins cher s’ils le veulent.


Quel est l’intérêt ?

J.P. : Sous criée, il y en a peu, mais si un producteur a une proposition intéressante en termes de volumes, il peut accepter un contrat à un tarif inférieur. Si nous devions nous porter acquéreur de trop de volumes, des limitations de débarques seraient mises en place et les producteurs seraient perdants. Le système a une fin.


Sur quels marchés « difficiles d’accès » au mareyage trouvez-vous des débouchés à vos achats ?

J.P. : Pour l’heure, nous utilisons les mêmes que pour les retraits. C’est-à-dire la Saria. Récemment, nous avons trouvé une niche en Tchécoslovaquie pour des cartons de merlus surgelés. Un débouché qui n’a pas perturbé les acteurs locaux et pour lequel nous avons limité nos pertes par rapport à l’alimentation animale.


Même si les volumes sont faibles, n’est-ce pas du gâchis ? N’est-il pas possible de répartir la production entre différents marchés, quitte à en faire émerger certains grâce à l’allocation de volumes minimaux et pérennes ?

J.P. : Nous avons exploré cette piste dans le cadre du projet « M cube » pour la lotte. Il a fait flop. La production n’appartient pas aux OP, mais aux pêcheurs. S’ils ne veulent pas vendre à prix fixe, c’est leur droit. Autre difficulté, il faut souvent plus d’un producteur pour amener les volumes nécessaires à la création un marché. Enfin, le mode de rémunération des marins-pêcheurs est un frein au développement de la contractualisation, surtout qu’au démarrage, les prix fixés sont souvent bas.


Dans d’autres pays européens, la contractualisation se développe. Le système de rémunération des marins diffère ?

J.P. : La rémunération à la part est un classique mais la répartition peut être différente. Parfois, la part attribuée aux marins n’est que de 10 %, contre 40 % en moyenne en France, mais ils disposent alors d’une rémunération fixe plus importante. Mais ce n’est qu’un des freins à la contractualisation. D’ailleurs, certains pêcheurs échaudés par des pertes en criées s’y intéressent.
Cela dit, pour tenter de stabiliser les prix, en lissant les apports en criée, nous pouvons imposer des limitations de captures lorsque les prix chutent trop. Le résultat n’est pas toujours garanti, surtout si une seule OP le fait. Mais dans ce cas les adhérents compensent leurs pertes lorsque les autres ont absorbé tous leurs quotas.


Quid des aides au stockage ? Quelles différences existent entre les prix de déclenchement de cette aide et les prix fixés pour les ordres d’achat ?

J.P. : Les prix de déclenchement de l’aide au stockage sont fixés par espèce au niveau national par FranceAgriMer, sur la base des propositions des différentes OP et de leur poids sur chacune des espèces. Les prix des ordres d’achats, eux, sont fixés par les OP après discussion avec les mareyeurs locaux en tenant compte des réalités de marchés, de l’historique. L’idéal est de faire coïncider au maximum les deux prix. En revanche nous devons déclarer de suite si les volumes sont acquis ou destinés au stockage. Dans un cas comme dans l’autre, le produit est proposé dans un certain délai essentiellement congelé.
En 2015- 2016, nous allons chercher à améliorer la valorisation de nos acquisitions, essentiellement en cherchant des partenaires. Nous ne souhaitons surtout pas faire concurrence aux acteurs traditionnels. Notre métier n’est pas de devenir transformateur ou commerçant, mais nous pouvons tenter de mettre en rapport des producteurs et des industriels, quitte à soutenir des débuts toujours difficiles avant de s’effacer quand l’aventure devient rentable. In fine, parce que nous aurions de moins en moins à intervenir, nous serions gagnants. Mais dans le cadre du chapitre V de notre PPC, nous cherchons aussi des pistes pour mieux valoriser les captures en général. Ainsi nous lançons une étude de marché sur le merlu pour voir comment les conditions de capture et la conservation à bord peuvent favoriser la commercialisation.


Chaque OP propose son propre plan. En existe-t-il, en France ou ailleurs, qui vous inspirent ?

J.P. : Certaines OP européennes sont des sources d’inspiration, comme SFO en Écosse. Elle a fait un travail d’organisation important, avec une grande diversité des captures dans un pays où les déplacements ne sont pas aisés. Moins que leur degré d’investissement dans la transformation, ce qui est fascinant c’est leur capacité à dénicher des débouchés. Ils n’ont pas peur d’investir mais cela rapporte à leurs adhérents.
En France, les sociétés coopératives de mareyage ont été des échecs cuisants. Elles ont été vues comme des outils d’intervention et non comme des structures commerciales et de transformation destinées à gagner de l’argent. Ce n’était pas tenable.


En conclusion, après un an de PCP, qu’est-ce qui a changé ?

J.P. : Sincèrement, il n’y a pas eu de révolution. De l’amont à l’aval, la réticence au changement existe. Au niveau des criées notamment, dont l’équilibre financier pourrait être mis en péril par le développement des contrats. Il faut du temps. Sur les questions de commercialisation, nous avons encore du travail à fournir, notamment pour identifier nos produits alors que la traçabilité est aujourd’hui un impératif réglementaire et que l’origine Bretagne fait rêver.

 

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Retrouver sur notre site, les points de vue

de Gaël MICHEL, secrétaire général de l'Union du mareyage français.

et celui de Yves GUIRRIEC, directeur de la criée de Lorient et de l'association des directeurs de halles à marée

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