Happy days

Il faut savoir prendre le temps avec Michaël, au flot de paroles inversement proportionnel au courant marin balayant les côtes du Connemara. À 66 ans, l’homme au visage serein contemple l’agitation fébrile du Seafood bruxellois avec le recul d’une carrière exceptionnelle. Badge « Origin Green » sur la veste, à l’instar des exposants irlandais, Michaël Joseph Muhr est en fait citoyen allemand. Sa contribution à la conversion totale de l’île à la salmoniculture bio fut décisive.
Il en est l’un des pionniers. L’histoire est loin d’être un long fleuve tranquille. « J’ai survécu à ce business, mais je n’y ai pas fait fortune ! » s’amuse-t-il. Aller vers le bio ou mourir, telle était l’alternative, brutalement posée aux éleveurs irlandais minés par des cours au plus bas dans les années 2000, après des faillites retentissantes. Maladie du pancréas, poux de mer et cataracte liée à un aliment défectueux avaient aussi sapé la production.

Mais, faisons un retour sur image dans le Donegal de 1971. Un jeune homme de 22 ans débarque d’Allemagne avec ses… radiateurs ! Pendant 15 ans, Michaël chauffe le comté, à la tête de la filiale irlandaise de l’affaire familiale. Un de ses amis, Damien 0’Ceallachain, irlandophone militant, rejoint un centre de recherche sur le saumon, dont l’élevage débute à peine en ces années quatre-vingt. Enthousiaste, il saute le pas, et crée un des premiers élevages dans le Connemara, Muirgheal. En irlandais, « femme de caractère »… Michaël vend sa firme de radiateur et devient son partenaire financier en 1986. Les deux compères investissent dans d’autres élevages de la baie de Kilkieran, à Lettermore, en plein Gaeltacht na Gaillimh, et à Clare Island, dans le Maigh Eo, aujourd’hui propriété de Marine Harvest, qui produit 9 000 tonnes en Irlande.

1986 est aussi l’année de la création de l’ISPG, Irish Seafood Producers Group, basé à Kilkieran. Son objectif : fédérer la commercialisation de ces modestes producteurs de saumon. Ce groupement, qui a commercialisé plus de 3 000 tonnes en 2015, Michaël en est aujourd’hui encore le directeur. Le charismatique Damien, « local hero » disparu brutalement en 2009 d’une crise cardiaque, en plein travail sur une cage, n’est plus là pour l’accompagner, lui, l’homme des dossiers, de l’ombre. Discret mais efficace, il continue de soutenir cette communauté qu’il aime tant, partagé entre l’Irlande et l’Allemagne natale où il s’est réinstallé… Même si son cœur bat toujours aux souvenirs des jours heureux irlandais.

Lionel FLAGEUL