LORIENT : LA DURABILITÉ, MOTEUR DU PORT DE PÊCHE KEROMAN
Prendre les devants pour une pêche durable, telle est la démarche entreprise par le port de Lorient Keroman depuis une dizaine d’années.
« Trier sur le fond plutôt que sur le pont. » Lancé par Maurice Benoish, président de la Sem (société d’économie mixte) Lorient Keroman, ce dicton de marin semble être devenu le leitmotiv des professionnels du port. Depuis le début des années 2000, la filière pêche de Lorient travaille d’un même élan pour améliorer la durabilité des ressources. La langoustine en est l’un des exemples.
La langoustine : produit de choix
Des changements pour la durabilité passent, d’abord, par une modification des techniques de pêche. Un travail de longue haleine, « parfois difficile à faire accepter par les équipes », confie Éric Guygniec, de l’armement Apak. « Mais, au final, nous avons de très bonnes retombées, tant financières que sur la gestion de la ressource. »
Cela fait plus de dix ans que scientifiques et professionnels travaillent main dans la main à l’amélioration des conditions de pêche. Une démarche volontaire de la part de tous, qui n’ont pas attendu qu’une réglementation tombe pour prendre les devants. Alors que l’Union européenne impose une taille commerciale des langoustines de 75 mm, les pêcheurs lui ont préféré 90 mm, taille aujourd’hui réglementaire en France. La pêche à la langoustine est d’ailleurs encadrée par une licence nationale.
La gestion de la langoustine à Lorient est devenue l’exemple d’une pêche durable. La modernisation des techniques de capture a permis une baisse des rejets d’environ 40 %. S’y ajoute le gain de temps sur le tri permis par la prise d’individus plus gros. À bord, ce sont viviers et brumisateurs qui équipent les bateaux, permettant de ramener des individus d’une grande fraîcheur, « parfois plus vivaces au débarquement que lors de la remontée », poursuit Éric Guygniec.
Le cogérant continue en insistant sur d’autres facteurs déterminants : saisonnalité et lieux de pêche. Deux critères que suivent les navires de l’armement Apak, pour une sélectivité utile à la préservation d’une espèce importante. En effet, « pas d’étal sans langoustine en Bretagne », souligne Laurent Tuauden, vice-président de l’Opam, Organisation professionnelle des poissonniers du Morbihan. Une espèce phare que le poissonnier ambulant trouve parfois complexe à acheter, « il y a beaucoup de variation des prix ». Et même si la langoustine est aujourd’hui abordable, il pointe l’existence de rares surprises sur la taille des individus achetés, dans un métier où la tolérance zéro est de mise. Un point de désaccord avec les pêcheurs qui insistent sur la rigueur du tri à bord de leurs navires.
Prendre en compte la logistique portuaire
Cette gestion durable vise toute la production du port. À Lorient, toute la filière y travaille, des pêcheurs aux scientifiques en passant par les transformateurs et les acheteurs. Une démarche volontaire entreprise par les professionnels, suite à une véritable prise de conscience, ces dix dernières années, d’une nécessaire gestion sur le long terme.
« Pour la plupart des gens, il n’y a plus de poissons. Mais c’est faux, il y en a de plus en plus ! », constate Éric Guygniec. Une abondance qui, selon lui, ne doit pas être la porte ouverte à une pêche déraisonnée. La pêche reste une activité où la demande est régulée par l’offre, et pêcher plus, voire trop, risque d’endommager le marché. Une situation que connaît aujourd’hui le merlu, qui a vu ses quotas augmenter fortement en 2014, passant de 69 000 tonnes à 98 000. « C’est beaucoup trop, commente le pêcheur, il ne faut pas pêcher plus, il faut pêcher mieux. »
Un point que prennent à cœur les acteurs du port de Lorient : de la pêche à la vente, tout le processus se modernise pour « pêcher mieux ». Sur les bateaux, les viviers conservent les espèces au frais. Sur le port, des brumisateurs occupent les lieux de stockage. À la criée, où 160 acheteurs viennent faire leurs achats, les caisses passent sur un double convoyeur permettant de réduire le temps de vente. Lorient a été le premier port à s’en équiper. Nouveauté également, depuis un mois les achats peuvent se faire par internet. En bout de chaîne, les acheteurs se voient délivrer une facture leur donnant toute la traçabilité des produits. À eux ensuite de l’indiquer à leurs clients.
Une démarche d’innovation en constante progression. Le port est dans une démarche constante de modernisation de ses équipements. Dernier en date, une machine usant d’un système de vision pour trier automatiquement le poisson en fonction des formes et des tailles. Les tests ont été concluants, et la mise en place de la machine devrait se faire prochainement.
Valoriser les produits
La valorisation des produits ne passe pas seulement par la mise en œuvre du label Bretagne qualité mer, directement utilisé sur le port. Les poissonniers et chefs de restaurant doivent également mettre en avant les produits pêchés à Lorient.
C’est ce que souhaitent Thibaut Crecely, passant cette année son baccalauréat professionnel poissonnier, écailler, traiteur au CFA de Lorient, et Nathalie Beauvais, chef du Jardin gourmand. La chef propose beaucoup de langoustines dans son restaurant, « de Pâques à juin, ensuite l’été, c’est en fonction des cours ». La saison reste un critère décisif de sélection pour la chef, qui vient de participer à l’ouvrage Les Recettes de Keroman, publié sous l’initiative du port de pêche, et dans lequel douze chefs livrent chacun une recette de produits de la pêche lorientaise.
La transformation sur place est aussi le vecteur d’une mise en avant des produits. Un essai actuellement effectué par l’armement Apak, qui souhaite valoriser les produits de la pêche artisanale. En partenariat avec IDmer, institut de développement des produits de la mer, Apak propose des recettes issues de la pêche locale : au mois de mai, c’est une nouvelle recette de merlu qui voit le jour, après le thon, le bar et la dorade. Des rillettes de merlu à la provençale, produites en circuit court – « pêché hier, transformé aujourd’hui » –, qui rejoignent les magasins Comptoir de la mer. Et non la GMS, Éric Guygniec insiste bien : « Nous faisons de la production artisanale, pas industrielle. » Cette transformation représente peu, 2 à 3 % de leur production selon l’estimation du pêcheur. Mais il espère accroître cette démarche.
Tout ce processus ne pourrait être accompli sans l’aide de l’agglomération lorientaise. Ici, « les élus se mobilisent pour la pêche », s’enthousiasme Maurice Benoish, « c’est un des seuls ports qui a cette démarche ». Lorient et la pêche, une histoire qui dure, et qui a tout pour durer.
C.FAY
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