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L'élevage du concombre de mer n’est pas toujours un eldorado

Ici l’Apostichopus japonicus, l’espèce la plus chère. (Crédit photo : DR)

 

La dixième édition des Rendez-vous de Concarneau, organisée par la station marine de la ville du Finistère, mettait l’accent sur l’aquaculture et ses nouveaux modèles : élevage à terre d’espèces marines, systèmes multitrophiques intégrés mais surtout mise en avant d’espèces nouvelles, comme le concombre de mer, aussi connu sous le nom d’holothurie ou bêche-de-mer.

« Dans le monde, l’intérêt pour l’élevage des holothuries existe depuis plus de 20 ans. Prisé partout là où il y a des Chinois, le concombre de mer est un des animaux marins les plus collectés dans de nombreuses îles indo-pacifiques », souligne Igor Eeckhaut, biologiste marin à l’université belge de Mons et impliqué dans le développement de l’holothuriculture à Madagascar. « Cela a entraîné un déclin des populations de concombre de mer que plusieurs gouvernements ont cherché à combler. »

Dès 2009, par exemple, la Nouvelle-Calédonie, pour qui la bêche-de-mer était la troisième espèce marine la plus exportée en valeur, s’est penchée sur la question du réensemencement d’Holothuria scabra. « Une des trois espèces dont on maîtrise l’élevage et la reproduction sur 70 exploitées en pêche », précise Igor Eeckhaut. Parmis ces trois espèces n’apparaît pas l’Holothuria forskali, présente sur les côtes françaises, mais sur laquelle la station de biologie marine de Concarneau a démarré des recherches pour tenter d’évaluer le potentiel en biorémédiation, soit la faculté de l’holothurie à nettoyer les dépôts organiques des sédiments des parcs à huîtres ou autres. L’espèce pourrait, bien sûr, trouver des débouchés dans l’alimentaire à l’export, mais pourquoi pas aussi en pharmacologie. « Les concombres de mer sécrètent des saponines, des molécules qui ont la propriété de percer les membranes cellulaires, ce qui peut s’avérer utile dans le domaine médical », rappelle Igor Eeckhaut. Reste à mobiliser la recherche dans le domaine. Pour lui, c’est certainement une des conditions pour rendre l’holothuriculture rentable. Le débouché alimentaire à lui seul pourrait ne pas suffire.

Selon les espèces, le prix de vente au kilo est très variable. Il dépend aussi de la taille et de la couleur, rappelle Wataru Yoshida, chercheur à l’université japonaise d’Hirosaki. « Au Japon, nous n’élevons que de l’Apostichopus japonicus, car c’est la plus chère. Son prix oscille entre 1 700 et 4 500 dollars/kg (1 480 et 3 910 euros) », évalue-t-il. Igor Eeckhaut prévient que « le prix moyen, toutes espèces confondues, s’établit plutôt entre 100 et 150 dollars/kg (87 à 130 euros). Celle que nous élevons à Madagascar, l’Holothuria scabra, se vend autour de 110 dollars/kg (96 euros) ». Des chiffres donnés pour un kilo de concombre de mer sec ! Or, « l’holothurie, une fois éviscérée puis bouillie dans de l’eau salée et séchée à trois reprises, ne pèse plus que 3 % de son poids originel », estime Wataru Yoshida.

Dès lors, pour devenir rentable, il faut disposer d’une certaine capacité de production et d’espace. « Au sein de Madagascar Holothurie, nous devons produire, pour atteindre l’équilibre, près d’un million de concombres de mer par an, sur un élevage de 100 hectares », estime Igor Eeckhaut, qui précise que la densité dans la phase de grossissement en enclos marins ne dépasse pas deux individus par mètre carré. « Si l’on souhaite qu’ils atteignent un poids de 400 grammes chacun, pour une taille de 20 à 25 cm, il ne faut pas en mettre plus. Il y a une limite dans les matières organiques contenues dans les sédiments par mètre carré. »

L’accès au foncier pourrait donc s’avérer être un frein au développement de l’holothurie en Europe. Ensuite, le chercheur belge met en garde contre les risques de prédations dans les élevages en mer où les concombres passent près de huit mois : « Outre l’humain, avec les risques de vols, plus de 60 prédateurs ont été identifiés, comme les crabes à Madagascar. Cela dépend des espèces. »

Au total, de l’embryon à la taille commerciale de 400 grammes, il faut compter 14 mois pour élever un concombre de mer. « Entre 60 et 90 jours en bassins, 60 jours de prégrossissement dans des étangs ouverts, puis 9 mois dans des enclos marins. » Outre le financement des infrastructures, il faut compter le personnel, l’entretien, etc. « Se lancer dans l’élevage d’holothurie n’est pas toujours un eldorado. Et peut-être en Europe faudra-t-il trouver un autre modèle », conclut le scientifique.

Céline ASTRUC

 

 

L’holothurie dans le monde

1 000 à 1 400 espèces de concombre de mer recensées, appartenant à la famille des échinodermes. Il s’agit quasi exclusivement d’espèces benthiques.
Les holothuries sont les macro-invertébrés les plus abondants en deçà des 5 000 mètres de profondeur.

70 espèces exploitées.
Les captures de concombre de pêche
dans le monde sont évaluées à 20 000 tonnes par an en poids sec, soit 400 000 tonnes en vivant.
Ce qui correspond à près d'1,2 milliard
de concombres de mer.


Les trois principales espèces cultivées :

Apostichopus japonicus, élevée au Japon et en Chine notamment.
C’est l’espèce la mieux rémunérée
sur les marchés ;

Isostichopus badionotus, que l’on trouve en Amérique centrale et Amérique du Sud ;

Holothuria scabra, espèce tropicale élevée à Madagascar que l’on trouve aussi dans l’océan Indien, l’ouest Pacifique…


Prix de vente moyen
sur les marchés :

110 dollars/kg sec, soit 96 euros, avec de grandes disparités selon les espèces et les tailles.



 

 

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