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Le bactériophage contre la listeria

AMAIA LASAGABASTER DIVISION DE LA RECHERCHE ALIMENTAIRE, AZTI (ESPAGNE).

Utiliser des bactériophages pour réduire la listeria dans les produits de la mer : ça fonctionne, démontre l’Azti, via le programme Seafood Tomorrow. Reste à en autoriser la technique…

 Plus de 2 500 cas de listériose ont été confirmés en 2018 dans l’Union européenne (UE), avec 229 décès. Elle touche majoritairement des personnes à risque : âgées, immunodéficientes, femmes enceintes et nouveau-nés. « La consommation de poisson serait la deuxième cause de listeria entre 2010 et 2017, et celle de crustacés, coquillages et mollusques serait au quatrième rang », constate Amaia Lasagabaster, chercheur à l’Azti (Centre de sciences et technologies marines et alimentaire), à Bilbao.

 Depuis 2005, la bactérie Listeria monocytogenes a été découverte dans du poisson frais (Pologne, Lettonie et Estonie), fumé (Finlande, Suède, Estonie, Italie, Espagne) et « prêt à consommer », dans toute l’UE. « La contamination se fait par les matières premières, ou durant le process. La listeria peut former des biofilms sur les surfaces en contact avec les aliments et elle est très résistante aux désinfectants. » Elle survit aussi à des températures entre -1,5 et 45 °C, une large gamme de pH (de 4,2 à 9,5), un taux de sel élevé (0,5 à 16 %), dans l’eau, etc. « Son élimination est difficile. C’est un défi pour la santé publique. »

Dans le cadre du projet européen Seafood Tomorrow, visant notamment notamment une meilleure sécurité sanitaire des produits de la mer, l’institut basque s’est penché sur l’utilisation de bactériophages pour limiter la listeria. « Sa régulation par cet agent microbiologique est une solution novatrice très prometteuse. » Ces phages, ne sachant se reproduire seuls, se fixent sur une bactérie cible et y injectent leur matériel génétique. La bactérie produit et libère de nouveaux phages, se détruisant au passage. L’Azti et l’industriel PTC ont développé une solution de bactériophages pour les produits de la mer. Ils ont d’abord isolé des listeriaphages en utilisant des souches de listeria cibles issues de produits de la mer. « Nous avons sélectionné seize phages pertinents, sur plus de 75 identifiés. »

Deuxième étape, leur caractérisation : pour être agent de sécurité alimentaire, il faut remplir des critères de morphologie, sécurité, spécificité, efficacité, stabilité… Les chercheurs ont séquencé leur ADN et rejeté trois phages lysogènes, retenant treize phages lytiques : les premiers ne transmettent leurs gènes qu’à la descendance de la bactérie et les seconds, plus virulents, explosent la bactérie en de multiples phages (lyse).

 Deux cocktails ont été mis au point, stables de 4 à 25 °C et de 2 à 9,5 de pH avec un large spectre d’action : ils lysent plus de 90 % des souches de listeria testées. Des conditions d’utilisation ont été définies : dose, mode et durée d’application. Un traitement optimal a été validé sur du saumon cru et du saumon fumé à froid. « Nous obtenons de très bons résultats : le cocktail de phages diminue la charge initiale de listeria et la maintient en deçà de la limite légale de 100 UFC/g jusqu’à la fin de la durée de conservation du produit. »

L’Azti est ensuite passé à l’échelle industrielle. « Nous avons optimisé la production de phages pour obtenir une solution stable, avec un bon rendement. » Amaia Lasagabaster en est convaincue : « Le biocontrôle par les bactériophages peut contribuer à garantir la sécurité des produits de la mer de façon naturelle et simple, c’est une solution biologique, écologique. » Mais il y a un hic : l’absence de réglementation sur l’usage des bactériophages en alimentaire. Hors UE, la Suisse, le Canada, Israël et les États- Unis ont approuvé leur utilisation avec déjà plusieurs produits sur le marché. Côté UE, c’est le flou juridique… « Un panel de l’Efsa [Autorité européenne de sécurité des aliments] a publié des avis scientifiques, mais la Commission européenne n’a pas marqué son accord sur une adoption réglementaire, et a renvoyé la responsabilité aux États membres. J’espère que nos données feront avancer le débat. »

 

[Seafood Tomorrow]

Un projet européen  Le projet européen Seafood Tomorrow explore de nouvelles technologies pour renforcer les industries de produits de la mer en Europe, la sécurité alimentaire et la durabilité. Projet à 7,5 millions d’euros, soutenu par le fonds Horizon 2020 de l’UE, il s’est étalé de novembre 2017 à avril 2021. Il a associé 35 partenaires, de 19 pays, dont Aquimer en France.

Des objectifs variés Les projets menés dans ce cadre sont centrés sur la sécurité alimentaire (détection ou réduction de toxines, norovirus, listéria, etc.), la durabilité et l’efficacité, comme limiter la consommation d’eau et d’énergie dans les process de l’industrie des produits aquatiques et améliorer la traçabilité digitale. Il s’agit encore d’éclairer les choix des consommateurs (projet FishChoice), voire de mettre en place des recettes adaptées à des populations spécifiques.

Les bactériophages Le projet mené par l’Azti met en oeuvre des bactériophages : ces phages attaquent les bactéries listeria à la surface de produits de la mer, pour y introduire leur ADN et s’y reproduire. Cela détruit la listeria et limite ainsi le risque de listériose.



 

Solène LE ROUX 

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