Anguille fumée, un marché confidentiel
Près de 280 000 tonnes, c’est le volume mondial d’anguilles relevé en 2018 par la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture). Avec 84 % de ces volumes, la Chine se place largement en tête des pays producteurs de l’espèce. Tandis que, avec moins de 8 000 tonnes (soit 3 % du total), l’Union européenne fait figure d’actrice confidentielle sur le marché. Elle exploite cependant une espèce différente : l’anguille européenne (Anguilla anguilla) et non pas l’anguille japonaise (Anguilla japonica) travaillée par les Chinois, mais aussi les Coréens et les Japonais.
Autre particularité, la production repose avant tout sur du grossissement, à 68 % dans l’UE. Les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Italie et le Danemark s’affichent comme principaux opérateurs. Chacun exploitait au moins 600 tonnes en 2018. Côté marché, les deux premiers sont d’importants exportateurs, particulièrement de produits transformés : fumaison, conserves, etc. Ils sont parallèlement importateurs d’anguille congelée et fumée, ainsi que vivante. Un segment sur lequel la France est très active au titre d’exportatrice avec près de 600 tonnes en 2018, à destination surtout de l’Italie (204 t) et du Portugal (110 t). L’anguille demeure une espèce singulière inscrite à l’annexe II de la Cites (convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction). Les autorités internationales sont attentives à la reconstitution des stocks. Le règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil européen impose aux pays de l’UE d’élaborer des plans de gestion de l’anguille qui permettent notamment aux spécimens adultes de quitter les eaux intérieures pour rejoindre la mer des Sargasses afin de frayer.
Une politique qui semble porter ses fruits puisqu’une amélioration des stocks est constatée depuis 2011. Dans le même temps, la production européenne a été réduite de près de 20 %. Mais le commerce international de l'anguille européenne, à destination et en provenance de l’Europe, est interdit. Seul celui intra-UE reste autorisé. Néanmoins, nombre d’acteurs de la grande distribution en Europe refusent cette commercialisation. Malgré ces dispositions, de la civelle (alevin de l'anguille) braconnée en Europe est exportée illégalement en Asie, et revient grossie en anguille sur le marché européen (lire aussi pages 10 à 15). L’étude que l’Eumofa (Observatoire européen des marchés des produits de la pêche et de l'aquaculture) consacre au marché de l’anguille fumée dans l’UE se concentre sur trois pays historiquement intéressés par la consommation d’anguille (Pays-Bas, Allemagne et Danemark). L’analyse indique que les fumeurs achètent en amont l’anguille vivante entre 8 et 10,85 euros du kilo. Le prix de commercialisation en aval est largement impacté par le faible rendement du filetage (41 à 46 %) et le coût de la main-d’oeuvre.
Au final, les prix hors taxe varient de 43 euros/kg pour les filets en vente directe au Danemark à 55,20 euros/kg pour le même produit et le même circuit aux Pays-Bas. En Allemagne, l’anguille fumée entière est commercialisée à 45,50 euros/kg. Elle est perçue comme un produit de luxe particulièrement consommé en décembre. Globalement, le coût de la matière première représente 15 à 22 % du prix final au consommateur.
Dominique GUILLOT