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« 5 à 10 % des poissonniers vont déposer le bilan »

Silvere Moreau,
président de l’OPEF
(Organisation des Poissonniers Écaillers de France)

"Les banques ne jouent pas le jeu, alors même
que l’État se porte garant à 90 %."

(Crédit photo : Thierry Lewenberg-Sturm)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À la mi-avril, quel est l’état des lieux de la profession ?

Pour notre branche, qui représente 3 000 entreprises et 8 000 salariés, la situation engendrée par le coronavirus est catastrophique. Nous craignons 5 à 10 % de dépôts de bilan, au minimum. La période que nous traversons va être sanglante. J’estime que 200 entreprises auront mis la clé sous la porte d’ici juillet. 

Comment expliquer l’ampleur des difficultés ?

Nous sommes dans le trou de la raquette. Beaucoup de poissonneries dépendent des touristes, notamment sur la côte. Les boutiques sont ouvertes… mais il n’y a pas de clients ! Pour citer mon exemple (poissonnerie Nelly, Le Bois-Plage-en-Ré - 17, N.D.L.R.), je ne réalise que 10 % de mon chiffre d’affaires habituel, pour la même masse salariale. Or nous n’avons pas le droit aux indemnités dont bénéficient les entreprises de tourisme, ni aux annulations de charge dont vont probablement bénéficier les restaurants. En bord de mer, les trésoreries sont à zéro. La saison ne peut pas démarrer, sans compter que les festivals et grands événements n’auront pas lieu avant mi ou fin juillet. En ville, les poissonniers ont pu bénéficier des ventes de Noël, mais sortaient de deux épisodes difficiles - gilets jaunes et grèves de décembre - qui ont fortement impacté l’activité. Quant aux marchés, ils sont pour la plupart fermés. Par ailleurs, nous ne sommes pas producteurs. La ressource que nous proposons est majoritairement sauvage et dépend de l’activité des pêcheurs. Bref, nous sommes toujours dans le mauvais camp.

Les assurances et les banques peuvent-elles aider ?

La seule assurance qui couvre les pertes d’exploitation… ne couvre que les restaurateurs, pas les commerçants. Les autres ne couvrent rien du tout. Quant aux banques, contrairement à ce que leur avait demandé Emmanuel Macron, elles ne sont pas du tout conciliantes. Plus d’une quarantaine de poissonniers m’ont appelé pour me dire que leurs banques refusaient de leur prêter de l’argent, faute de fonds propres suffisants. Les banques ne jouent pas le jeu, alors même que l’État se porte garant à 90 %. Il est honteux de voir qu’un directeur de banque communal peut décider de l’avenir de nos entreprises. Le moral n’est pas bon, car on se rend compte qu’on a le droit à rien !

Qu’en est-il du chômage partiel ?

La plupart des poissonniers en ont fait la demande via leur comptable ou expert-comptable, mais un mois plus tard nous n’avons non seulement pas reçu l’argent, mais pas même les codes permettant de déclarer nos salariés ! Certaines entreprises ont réussi à payer les salaires de mars, mais seront dans l’incapacité de le faire pour les salaires d’avril. Il y a vraiment une notion d’urgence vitale.

Comment envisagez-vous la reprise, à partir du 11 mai ?

Nous sommes prêts, mais dans quelles conditions ! Le marché international va rester bloqué au moins jusqu’au 15 juillet. Pour des raisons de rentabilité, il n’y a plus de grande pêche, seulement de la petite pêche côtière centrée sur des captures nobles. Par ailleurs, avec la crise, des marchés de producteurs se sont ouverts, sans respecter les contraintes auxquelles nous sommes soumis en tant que professionnels. Certains agriculteurs ou pêcheurs qui vendent en direct ne mentionnent parfois même pas le nom de l’espèce…

Propos recueillis le 14 avril/2020 par Fanny ROUSSELIN-ROUSVOAL